Blog
Marketing d'influence

Baby-boom du marketing d’influence

Sommaire
Vous avez un projet ?
Edouard
Couturier
8/9/2020
Partager

Instagram, Snapchat, Youtube, Tik Tok, ou Twitch… Une vague de jeunes enfants et adolescents gagne en vitesse dans les flots du marketing digital. En échange de cadeaux ou d’argent, les "babies" sont les nouveaux influenceurs en vogue. Décryptage d’un phénomène controversé que la loi française tend à encadrer.

Loin de la cour de récré, un nouveau business explose dans le marketing d'influence : c’est le baby-boom dans la stratosphère des influenceurs ! Ces dernières années, on observe le développement d’une nouvelle tendance : le sharenting ! Traduisez le fait de "partager sa vie de parent", ou plutôt celle de son enfant.

En effet, cela fait déjà quelques temps que des anonymes, suivis par des milliers de personnes, utilisent les réseaux sociaux pour faire des placements de produits, moyennant cadeaux ou rémunération. Directement sur le compte de leurs parents ou par la création - en contournant les autorisations légales des sites - de leur propre compte, les jeunes se font une place dans le marketing d'influence qui ne cesse de rajeunir.

"Je passe au-dessus des insultes que je reçois", déclare, avec une belle confiance, Paola Locatelli. Cette jeune Française cumule environ 1,6 millions d’abonnés sur son compte Instagram… A seulement 16 ans ! Paola est conviée à de nombreux événements grandioses tels le lancement de la marque de cosmétiques, signée Rihanna, Fenty Beauty, en présence de la star internationale, ou encore au festival Coachella.

L’adolescente qui se rêve actrice et mannequin, est, depuis sa pré-adolescence, adorée ou détestée mais surtout suivie par une imposante communauté !… La jeune femme acquiert sa popularité en 2005 grâce à ses vidéos lifestyle avec ses amis sur sa chaine Youtube. Storytimes, challenges, et nombreuses séquences “fraîches“ qui séduisent la nouvelle génération. La clé du succès ? “Naturelle et sans filtre“, annonce Paola.

Les premières stars du web, Cyprien, Norman ou encore EjoyPheonix partagent désormais Youtube et les réseaux sociaux avec leurs petits frères et soeurs. Leurs chaines YouTube se nomment Swan The Voice (4,5 millions d’abonnés), Studio Bubble Tea (une des pionnières, 1,5 millions d’abonnés) ou encore Démo Jouets (1,1 millions). Des jeunes stars dans un univers encore dérégulé…

Car si le nombre d’influenceurs et de chaines YouTube sont difficiles à estimer - certainement quelques centaines dans l’hexagone - le phénomène ne s’essouffle pas. Et pose question.

Une loi pour encadrer le marketing d’influence des jeunes

Tant au plan éthique que juridique, ce baby boom du marketing d’influence conduit à de nombreuses interrogations. Finalement, qu’est-ce qui confirme l’accord des enfants lorsque leurs parents utilisent leur image ? Comment être sûr qu’ils ne seront pas embarrassés plus tard par tout ce contenu ? Comment s’organisent les partenariats ?

Jusqu’ici les enfants influenceurs de moins de 16 ans, ne bénéficiaient pas de la protection liée au droit du travail. Une nouvelle loi a été votée, à l’unanimité à l’Assemblée Nationale en février 2020, puis au Sénat en juin dernier. Ce texte, à l’initiative des députés de la majorité, stipule vouloir protéger les activités rémunératrices des mineurs sur les différentes plateformes.

Ainsi, les personnes de moins de 16 ans devront bientôt se soumettre au même régime que les enfants travaillant dans le monde du spectacle. Une nouveauté qui risque de transformer bien des choses pour les jeunes influenceurs, surtout pour les plus prolifiques d’entre eux.

"Une nouvelle forme d’entrepreneuriat et d’expression artistique"

Combler un vide juridique ayant émergé ces dix dernières années concernant une "nouvelle forme d’entrepreneuriat et d’expression artistique", telle est l’essence de cette proposition de loi pour l’investigateur du texte, Bruno Studer, député La République en marche du Bas-Rhin, aussi président de la commission des affaires culturelles et de l’éducation du Palais Bourbon.

En cas d’adoption définitive de cette loi à la fin de l’année, elle concernerait les activités rémunératrices des enfants youtubeurs, e-sportifs (jeunes participants de compétitions de jeux vidéos en ligne) et influenceurs, disposant d’une importante communauté d’abonnés sur un réseau social. La proposition de loi ne s’arrête pas là : elle s’étendrait également aux Vlogs (contractions des mots "vidéo" et "blog") familiaux.

Souvent ces publications dépassent la simple activité de loisir, surtout lorsqu’elles empiètent sur une grande partie du quotidien de l’enfant, et/ ou génèrent des profits considérables.

Désormais, ces activités en ligne seraient soumises à une autorisation préalable auprès de la commission des enfants du spectacle, qui est rattachée à chaque direction départementale de la cohésion sociale. Tels les enfants acteurs et mannequins, les horaires et temps de tournage seront encadrés et la rémunération de ces contenus, due à la publicité en ligne ou au placement de produit, sera en grande partie bloquée auprès de la Caisse des dépôts et consignations jusqu’à la majorité de l’enfant.

Enfants influenceurs, même régime que les enfants artistes

Un décret précis indiquera prochainement le nombre d’heures autorisées de tournage et de travail d’un enfant influenceur. Mais si on suit, les règles actuelles appliquées avec le régime des jeunes artistes, les moins de 16 ans, tout comme les 16-18 ans, pourront travailler au maximum 8 heures par jour et 35 heures par semaine.

Bien entendu, si cela n’empiète pas sur leur apprentissage scolaire. Dans le cadre d’obligations, des aménagements d’emploi du temps seront même possibles.

Comment se déroulera une journée type pour ces graines de star ? Dans un laps de temps de 24 heures, un mineur pourra travailler par tranches horaires adaptées à son âge : de 3 heures à 3 ans, jusqu’à 7 h à partir de 16 ans.

Toutes les deux heures, il sera obligé de bénéficier de 30 minutes de pause. Le tout, avec au moins un repos quotidien de 12 heures sucessives. Pour les jours fériés et les vacances scolaires ? Mêmes règles et aucun soucis, si l’activité ne les couvre pas intégralement.

Toujours similaire au régime des enfants artistes, les jeunes influenceurs doivent se plier aux mêmes interdictions : pas d’exercices périlleux ou d'actions pouvant avoir des conséquences sur leur vie, santé ou même moralité.

Les changements administratifs dans ce marketing d’influence

A l’instar de la réglementation des enfants du monde du spectacle, tous parents de jeunes influenceurs auraient, après promulgation de la loi, l’obligation d’obtenir une autorisation pour leur progéniture et de déclarer leur activité. Dans le cas d’un mineur de plus de 16 ans, ce sera aux représentants légaux de signer le contrat de travail.

Soulignons que dans la mesure où un mineur peut travailler dès 16 ans dans la loi française, aucune autorisation supplémentaire ne sera requise. Autre cas de figure : si le jeune est déjà affranchi de la responsabilité de ses tuteurs légaux, le droit du travail "général" s’appliquera.

Et pour les enfants de moins de 16 ans ? Il suffira de faire une demande de dérogation préfectorale. Quelles sont les démarches ? Dans un premier temps, il faudra rédiger une autorisation écrite de la part des représentants légaux de l’enfant. Ensuite, obtenir l’accord du préfet de la région où réside l’enfant.

Sur conseil d’une commission du Conseil départemental de la protection de l’enfance, un accord sera délivré ou non. L’évaluation de l’aptitude de l’enfant au travail, la vérification de la comptabilité de ses obligations scolaires, et de son bon état de santé, seront passé au crible. Cette commission évaluera aussi les conditions de travail de l’enfant.

Autrement dit, la rémunération, le temps et le cadre de travail mais aussi la surveillance et la sécurité prévues par l’employeur. Et dans le cadre de Youtube ? La surveillance devra être assurée par les représentants légaux. Attention, un parent n’obtenant pas d’autorisation pour son enfant s’exposera à une sanction pouvant aller jusqu’à cinq ans d’emprisonnement et 75.000 euros d’amende.

Et la rémunération de l’enfant influenceur ?

A ce jour, les revenus générés par ces jeunes artistes 2.0, peuvent être perçus par les parents, qui n’ont aucune obligation légale quant à un potentiel virement à la Caisse des dépôts et consignations jusqu’à la majorité du créateur de contenus. Après promulgation de la loi, les responsables légaux seront soumis au dépôt d’au moins 90% des revenus de leurs enfants à cette Caisse des dépôts et consignation.

Mais les parlementaires désirent aller plus loin : ils appellent à la responsabilisation des plates-formes et géants du Net. Ces derniers devront notamment mettre en place des protocoles d’information à destination des parents et des enfants sur l’utilisation et les démarches administratives à suivre, tout en favorisant, un système de détection et de signalement de contenus mettant en scène des mineurs.

Enfin, une dernière mesure qui n’est pas des moindre : ce texte instaure un droit à l’oubli pour les enfants mis en scène sur les plates-formes en ligne. En d’autres termes, ces jeunes individus pourront demander le retrait sur le World Wide Web de certaines informations qui pourraient leur nuire sur des actions qu’ils ont faites antérieurement.

Concrètement, soit par le retrait de l’information sur le site d’origine, soit par le déréférencement du site internet par les moteurs de recherche… Ni vu, ni connu !

C’est un univers que ceux qui n’ont pas d’enfants ne peuvent pas connaitre… Entre les tutus roses, les jouets en plastique, les placements de produits pour des marques de dentifrice ou les parties de Mario Kart, les jeunes influenceurs cartonnent et gagnent des sommes faramineuses. Dans un reportage M6, diffusé en septembre 2016, les parents à l’origine de la chaine Youtube, Demo Jouets, confiaient toucher 80 centimes pour 1.000 vues soit environ 5.000 euros par mois. Et cela sans compter les autres sources de revenus comme les placements de produits, les partenariats et les collaborations…

Décidément, une activité prolifique, un macrocosme controversé, où moralité et éthique marchent sur un fil.